BRIQUE ET PIERRE (architecture)

BRIQUE ET PIERRE (architecture)
BRIQUE ET PIERRE (architecture)

«Le château est tout blanc! / Cela repose des briques rouges de nos pères.» C’est ainsi que Paul Morand imagine dans La Nuit de Vaux-le-Vicomte l’étonnement des invités devant la blancheur du château en pierre, lors de la fête du 17 août 1661 donnée par Fouquet à Louis XIV. L’écrivain se fait l’écho de la croyance de chacun d’entre nous, aujourd’hui encore, que l’architecture de brique, plus précisément «brique et pierre» communément dénommée Louis XIII, saluée par l’historien Sauval comme une invention de qualité apparue «avec tant d’applaudissements sur les murailles de la place Dauphine, de la place Royale» en 1605 et 1607, était passée de mode en 1660. Le style «brique et pierre» n’a pas été l’apanage du seul XVIIe siècle, il s’est développé tout au long de l’histoire de l’architecture française.

Harmonie de la chaude couleur orangée de la brique et de la blancheur de la pierre ajoutée au gris bleuté des toits d’ardoise, simplicité, symbiose de la brique et de la pierre, tels sont les traits dominants qui confèrent toute son originalité à l’architecture brique et pierre française, dès la fin du Moyen Âge, que l’on ne retrouve nulle part ailleurs en Europe. Certes, la brique fut unie à la pierre appareillée en «arase» dès la fin du Ier siècle de notre ère à Rome, mais en Italie du Nord à l’époque romane, en Allemagne du Nord durant la période gothique, comme en France d’ailleurs, quand des églises sont construites en brique, aucune pierre ne vient les éclairer de sa note blanche. Et si les Vénitiens, les premiers peut-être, allient la brique à la pierre dès la période gothique dans certains de leurs palais, il ne faudrait pas voir en eux les précurseurs du style brique et pierre, car ils utilisent avec parcimonie la pierre dans leurs édifices.

Quant aux édifices flamands des XVe et XVIe siècles, leurs composantes architectoniques et stylistiques sont très différentes de celles de l’architecture française. La pierre n’y est pas liée, en effet, à la brique, mais elle lui est juxtaposée et elle n’atteint jamais l’ampleur d’un beau chaînage en harpe.

Ces architectures ne répondent donc pas à la définition imagée et claire exprimée par Sebastiano Serlio dans son traité de 1537: «La brique est la chair de l’édifice et la pierre, les os qui la soutiennent.»

Définition du style

Il faut attendre la fin du XVIIe siècle pour que Augustin-Charles d’Aviler, dans son Cours publié en 1691, énonce clairement que la maçonnerie de brique apparente se fait de deux manières. La première consiste à construire les piédroits (c’est-à-dire les montants verticaux des baies) et saillies (que sont les bandeaux, linteaux, chaînes) de pierre et les panneaux de brique . Jacques-François Blondel, dans son Cours de 1750, précise la place de la pierre aux encognures, au pourtour des portes et des croisées, aux plinthes et aux corniches . La seconde manière consiste à l’inverse à faire les saillies de brique et les panneaux couverts de crépi . L’appareil du mur n’est plus un assemblage de briques mais de pierres non équarries appelées moellons, dont l’aspect grossier nécessite un crépi, mélange de sable et de chaux qui imite la couleur de la pierre. Tout au long de l’histoire du style, les deux manières vont exister tour à tour ou se côtoyer.

Les origines de l’architecture «brique et pierre»

La brique est un matériau très ancien, fait à partir d’argile, que les hommes utilisèrent d’abord crue, séchée au soleil; c’est elle que Vitruve loue dans son Traité . Mais la brique cuite était déjà connue dans l’Antiquité, et son emploi était même généralisé dans tout l’Empire romain à partir du IIe siècle. La porte des Horrea Epagathiana à Ostie en est un exemple significatif. En France, les murs des thermes de Cimiez, de Cluny à Paris se composent de bandes de pierre horizontales qui alternent régulièrement avec des arases ou rangées de briques plates. La façade de la cathédrale carolingienne de la Basse-Œuvre à Beauvais est ainsi appareillée. Ces murs sont les ancêtres de l’appareil dit «en lits alternés» du XVIIe siècle, composé d’une assise de pierres pour trois assises de briques et les premiers exemples d’une alliance de la brique et de la pierre, bien qu’il soit exclu de parler à leur propos d’architecture brique et pierre au sens de la définition d’Aviler.

Il en est de même à la forteresse de Rambures (Somme), construite entre 1440 et 1470. Ses quatre tours sur plan tréflé sont en brique couronnées par la masse de craie blanche de la galerie du chemin de ronde en encorbellement sur les mâchicoulis. C’est donc la brique qui constitue la masse des murs de cette imposante construction et la pierre qui joue le rôle décoratif; c’est elle qui anime, grâce à l’éclat de sa blancheur, les hauts murs rouges qui sans elle ne seraient que sombre forteresse; ensemble parachevé par le gris bleuté des hauts toits d’ardoise en poivrière. Il s’agit là d’un effet polychrome jusqu’alors inconnu dans l’architecture militaire. D’autres forteresses: la tour du Castillet à Perpignan, dès 1368, la tour dite «bourguignonne» de Duurstède près d’Utrecht aux Pays-Bas en 1456-1459 sont construites en brique, mais leur sommet n’est pas couronné par une belle ligne de pierre blanche. Faut-il en conclure que Rambures est un exemple unique? Qu’il n’a pas existé d’autres châteaux forts où la pierre ait été associée à la brique dans un réel souci d’esthétique? L’examen des manuscrits enluminés de l’époque permet de répondre, en partie, à ces interrogations. Chroniques historiques, livres d’heures, calendriers consacrés aux scènes de la vie courtoise, aux occupations à la campagne comportent, dans les parties supérieures de leurs miniatures, des représentations toujours très précises du château fort ou de la ville fortifiée. Dans les Chroniques de Jehan Froissart en 1461-1467, dans la Geste ou Histoire du noble roi Alexandre de Macédoine en 1448 se succèdent, de page en page, murs d’enceintes, tours rondes ou carrées, châtelets d’entrée peints en rouge qui côtoient d’autres murs, d’autres tours blanches ou grises celles-là, révélant à l’évidence des procédés répétitifs. Cependant, s’il n’est pas possible de déceler dans ces représentations pour la plupart fictives un réel souci d’exactitude, il est indéniable que l’enlumineur a désiré exprimer, par cette alternance blanche et rouge, une vision qui lui était familière et qu’il a voulu représenter ainsi une différence de matériaux: blanc et gris pour la pierre, rouge pour la brique; de nombreux détails constituent de véritables relevés d’architecture: beaux appareillages en épi, en lits alternés et même courtines et tours en brique avec soubassements et mâchicoulis de pierre peints avec une extrême précision. Ces derniers exemples sont à l’image même de Rambures.

Nous découvrons aussi dans ces deux ouvrages ainsi que dans le Livre de prière de Philippe le Bon peint vers 1461-1467, dans le Roman de Renaud de Montauban et dans bien d’autres manuscrits, des maisons fortes et des manoirs. À l’intérieur des enceintes cantonnées de tours, les logis aux murs de brique se parent d’un décor de pierre sculptée, répertoire décoratif du gothique flamboyant; gâbles et pinacles des lucarnes, arcs en accolades aux rampants ornés de chicorée frisée, etc.; et aussi, pour la première fois, de ces chaînes verticales de pierre en harpe, si typiques, composées de pierres superposées alternativement courtes et longues.

Antérieurs de quelques années, les manuscrits des Belles Heures et des Très Riches Heures du duc Jean de Berry, datés respectivement des années 1410-1412 et 1413-1416, révèlent au folio 215 du premier ainsi qu’aux folios 71-72 et 146 du second trois murs d’enceinte dont l’appareillage de brique est parfaitement dessiné et encadré de chaînes de pierre aux harpes irrégulières. Leur rusticité s’oppose à la richesse ornementale du reste de l’architecture et représente par là même une réalité nouvelle que n’ont pu inventer les frères Limbourg. Il est possible d’ailleurs de comparer l’appareillage représenté au folio 215 des Belles Heures avec celui plus tardif de l’étage sur galerie de l’aile Louis XII du château de Blois, construite entre 1498 et 1503; ils sont identiques. Mais de telles comparaisons sont rarement possibles, car les forteresses datant de l’époque de Jean de Berry comme celles élevées sur le vaste territoire du duc de Bourgogne, qui englobait une partie du nord de la France et les Pays-Bas, Belgique comprise, ont presque toutes été détruites à l’exception de Rambures. Quant aux maisons fortes, celles qui subsistent en France sont largement postérieures, qu’il s’agisse de Blancafort dans le Cher qui date du début du XVIe siècle, du Moulin dans le Loir-et-Cher qui n’était pas achevé en 1501, de Beaucamps-le-Jeune dans la Somme, commencé en 1537 ou de La Bussière dans le Loiret reconstruit en 1577. C’est donc uniquement l’inventaire des pages enluminées de ces manuscrits qui permet d’avancer l’hypothèse que le style brique et pierre existait sur le domaine du duc de Berry une quarantaine d’années avant qu’il ne soit employé sur les terres de Philippe le Bon duc de Bourgogne.

Force est de constater cependant que la mise en œuvre des deux matériaux telle qu’elle est représentée dans les manuscrits du temps de Philippe le Bon n’est pas identique à celle des constructions postérieures existant encore en Belgique. Comme la tour de Duurstède (Pays-Bas) précédemment évoquée, le château fort de Beersel, rebâti de 1491 à 1508, est bien une construction en brique mais la pierre y est employée avec parcimonie. À Oydonck, reconstruit en 1595 et très restauré au XIXe siècle, la brique domine sans conteste. Avec ses tourelles octogonales, ses pignons à pas de moineaux , la silhouette du manoir de Rumbeke construit vers 1535 est très proche de celles des manoirs gothiques de Plessis-lez-Tours, de Jallanges ou de Guémicourt, mais il leur est postérieur de cinquante ans. De plus, aucun trait de pierre n’envahit les lucarnes, ni les angles des tourelles, ni les portes et fenêtres. Rumbeke est un manoir de brique où la pierre n’apparaît qu’en de rares endroits et il en est de même pour d’autres manoirs, châteaux ou maisons de ville caractéristiques avec leurs pignons et leurs travées dites brugeoises . Le maître-d’œuvre flamand a utilisé un matériau, la brique, qui n’est que rarement, du moins aux XVe et XVIe siècles, associé à la pierre selon la manière française qui va se développer à partir des années 1485-1490 dans les manoirs de brique à décor de pierre flamboyant des pays de Loire. Le Plessis-lez-Tours, Luynes, Jallanges, le Clos-Lucé en Touraine, Gien dans le Loiret en sont les vivants témoins; tous caractéristiques avec leurs murs de brique, leurs tourelles d’escalier octogonales aux angles renforcés de chaînes harpées, leurs fenêtres à meneaux et harpes irrégulières et leurs lucarnes de pierre à gâbles et à pinacles.

Puis l’ornement flamboyant disparaît peu à peu au cours des années 1510-1520; il est supplanté alors par le décor italianisant qu’avaient admiré les Français lors des campagnes d’Italie. La coquille et le candélabre remplacent l’accolade et le pinacle, les ordres antiques apparaissent aux pieds-droits des ouvertures, et des arabesques ornent la pierre. La transition est sensible aux lucarnes du château du Moulin, aux piliers des galeries de l’aile Louis XII à Blois et de l’hôtel Cujas à Bourges. Au château des Réaux en Indre-et-Loire, après 1510, la luxuriance du décor sculpté se combine de surcroît à un appareillage en damier semblable à celui du château d’Arthies en Île-de-France construit à la fin du XVe siècle et à ceux, plus tardifs, des façades de Victot, de Cricqueville et de Saint-Germain-de-Livet dans le pays d’Auge, datant du dernier quart du XVIe siècle.

Parfois, c’est le mur entier de brique qui forme le décor, d’une manière plus discrète certes mais non moins attrayante. L’appareillage dit en losange se substitue alors aux modes d’appareillages où toutes les briques sont de la même tonalité. Il dessine sur toute la façade un quadrillage de losanges réguliers composé de briques vernissées presque noires qui tranchent sur un fond de briques claires. Ainsi à l’hôtel Cujas à Bourges, aux châteaux de Blois et de Gien où les maîtres d’œuvre ont fait preuve d’une indéniable imagination tant par la qualité technique déployée que par la variété des réseaux de cinq et parfois même neuf losanges inscrits les uns dans les autres. Tous ces exemples montrent que le vocabulaire décoratif de la pierre, dans l’architecture brique et pierre, est équivalent à celui de l’architecture où la pierre est employée seule et dont il a suivi toutes les étapes depuis le gothique jusqu’à la Renaissance. Quant à la brique, l’apport de sa note colorée fait ressortir les motifs décoratifs de la pierre blanche. C’est sur cette union des deux matériaux que reposent toute l’esthétique et l’originalité de l’architecture brique et pierre française.

L’épanouissement du style «brique et pierre» à la Renaissance

1528 marque une rupture dans l’histoire de l’architecture polychrome française. À cette date commençaient à Fontainebleau les travaux de l’aile septentrionale de la cour du Cheval blanc: murs de pierre non appareillée couverts d’un enduit et ossature de brique, parti inverse du «brique et pierre», employé pour la première fois à notre connaissance en France et que nous appellerons le style «moellon et brique».

Il a été souvent noté que le maître maçon Gilles Le Breton à Fontainebleau n’avait eu que le rôle d’un exécutant. Certes, l’introduction de pilastres d’ordre monumental, le dessin des lucarnes, peut-être inspiré de celui des fenêtres de la Scuola di San Marco de Venise, l’enduit sur les murs de moellon, la mise en œuvre nouvelle de la brique paraissent bien être le fruit d’une inspiration provoquée par le côtoiement journalier des artistes italiens qui travaillaient sur le chantier de la demeure royale. En revanche, il semble probable que c’est à Le Breton seul que nous devons cette alliance du moellon crépi et de la brique dans laquelle la couleur rouge se détache sur un fond ocre.

Le maître maçon a su tout à la fois adapter les techniques de mise en œuvre des matériaux venues d’Italie, renouveler le répertoire des formes et rompre avec la tradition brique et pierre des pays de Loire que la cour, à la suite de François Ier, venait de quitter. Il a créé un style nouveau, français, fondé lui aussi sur les oppositions de couleur. Le style «moellon et brique» fera école à Saint-Germain et à Challuau en 1539, à La Muette en 1541, et durant deux décennies aucune construction brique et pierre ne sera élevée sur le sol d’Île-de-France. Au cours des années 1550, les deux manières se côtoieront au château de Fleury-en-Bière ; le brique et pierre étant choisi pour le château, le moellon et brique étant réservé aux communs et au mur d’enceinte de l’avant-cour. Ces derniers déconcertent par le rythme de leurs fausses arcades séparées par les pilastres, par les volutes affrontées qui couronnent le mur d’enceinte et par les C entrelacés, initiales du propriétaire Cosme Clausse, l’ensemble dessiné en brique sur le fond du mur en crépi. Dans l’aile basse, qui seule subsiste du château, bien que la structure soit identique à celle des manoirs gothiques (mur de brique et parties vives en pierre), la rupture avec le passé est néanmoins sensible car l’ornement sculpté a totalement disparu. Les chaînages en harpe qui ne s’effacent plus, comme dans l’architecture gothique ou de la Première Renaissance, derrière les moulurations des pieds-droits des fenêtres à meneaux ont enfin leur autonomie propre et constituent le seul décor de la façade. À la façade ouest du château de Vallery (Yonne), qui date lui aussi des années 1550, c’est le triomphe du bossage rustique en harpe. Aux deux travées de la façade est, des chaînages en harpe sans aucun relief encadrent les fenêtres et les panneaux d’ardoise du rez-de-chaussée et, à l’étage, la niche qui à l’origine abritait une statue. C’est l’un des premiers exemples d’une interprétation française de l’ordre italien: une chaîne de pierre harpée montant de fond en comble, dénommée aussi rustique français , à la place d’un pilastre ou d’une colonne. Cette composition est probablement due à l’architecte Pierre Lescot ; en s’inspirant très librement des modèles proposés par le théoricien italien Sebastiano Serlio dans ses Livres d’architecture , Lescot a joué un rôle capital dans l’élaboration du style brique et pierre classique dont les châteaux de Courances (Essonne, 1550) et de Rosny (Yvelines, 1595), le logis des abbés de Saint-Germain-des-Prés à Paris (1586) sont parmi les premiers exemples. Mais c’est essentiellement Jacques Androuet Du Cerceau qui a eu une influence déterminante sur les constructions du dernier quart du XVIe siècle par son œuvre d’ornemaniste et le château de Charleval, commencé en 1570 pour le roi Charles IX mais qu’il n’acheva pas. Ce sont les noms de son fils Jacques II et de son petit-fils Salomon de Brosse que nous retrouvons à Montceaux-en-Brie, à Coulommiers, à la galerie de la Reine à Fontainebleau et à Selles-sur-Cher, tous précieux témoins de ce maniérisme bellifontain des années 1600 où l’emploi de la pierre domine largement celui de la brique utilisée avec parcimonie, où les bossages créent des contrastes de relief, où les volutes s’affrontent aux frontons et où les médaillons s’ornent de coquilles et de fleurons.

Cette exubérance ornementale, parenthèse dans l’architecture brique et pierre de cette période, ne représente pas toute l’œuvre de Du Cerceau et de son atelier. Parallèlement, les modèles proposés par Du Cerceau dans le Premier Livre d’architecture et dans son troisième livre... Pour gentilshommes et autres qui voudront bastir aux champs publiés en 1559 et 1572 sont d’une grande simplicité et eurent aussi une très grande influence. L’expression même de bastir aux champs s’applique en effet à merveille au groupe de châteaux moellon et brique de Neuville, Pontchartrain, La Mormaire, Tremblay-sur-Mauldre, Abondant dans les Yvelines, de Grosbois, d’Ormesson dans le Val-de-Marne comme aussi à ceux brique et pierre de Wideville et de Rosay également dans les Yvelines. Toute ornementation superflue en a été exclue, nul bossage en relief, nulle sculpture ne viennent distraire l’œil du simple jeu d’appareil de la brique sur le moellon enduit ou de la pierre sur la brique. Et, de surcroît, tous ces châteaux peuvent être comparés à telle ou telle planche des Premier et Troisième Livre de Du Cerceau, que ce soient le dessin d’une lucarne, les élévations d’un pavillon, d’une façade ou les plans.

La découverte des marchés passés pour le château de Wideville a permis de démontrer que sa construction ne fut pas l’œuvre de Claude Bullion en 1635 mais celle de Benoît Milon en 1580-1585. La planche VI du Premier Livre a servi de modèle pour le château de Grosbois qui fut édifié à partir de 1580. Quant au château d’Ormesson, il a été rapproché de longue date de la planche IX du Troisième Livre . La tradition voulait que Neuville ait été construit vers 1600-1620. Or l’emblème lié à la personne du roi Henri II, un globe cerné d’un croissant, sculpté par deux fois de part et d’autre de la porte de la tour d’angle qui jouxte la chapelle, laisse supposer au contraire que la construction était commencée avant 1559, date de la mort du roi; elle n’était pas achevée en 1582. Rappelons que Neuville n’est pas éloigné de Saint-Léger-en-Yvelines construit aussi pour Henri II par Philibert de l’Orme et que l’architecte y mit en œuvre la brique tout comme dans l’enceinte du château d’Anet. Les châteaux de Pontchartrain, Rosay, Tremblay-sur-Mauldre, qui étaient eux aussi datés des années 1600-1620, doivent désormais être rajeunis de vingt à trente ans.

Tous ces châteaux que les historiens de l’art avaient qualifiés de Louis XIII sont par conséquent, à la lumière de ces nouvelles recherches, des châteaux Henri III voire Henri II.

Les prolongements à l’âge classique

Lorsque Henri IV achève en 1606 les travaux de Fontainebleau, c’est le style moellon et brique qu’il choisit pour la cour des Offices et c’est le style brique et pierre qu’il impose à Paris pour les places royales, la place des Vosges en 1605 et la place Dauphine en 1607. À Charleville, fondée le 23 avril 1608, Charles de Gonzagues, duc de Nevers, choisit le parti brique et pierre et un programme très proche de celui de la place des Vosges pour la place ducale. Quant à Sully, il fera sien le parti moellon et brique pour la ville d’Henrichemont qu’il fonde le 24 décembre 1608. Nous voici au seuil du règne de Louis XIII qui a donné son nom aux constructions polychromes. Il est vrai que lui aussi a choisi l’harmonie rouge et blanche pour Versailles qui n’était à l’origine en 1624 qu’un simple pavillon de chasse, agrandi dès 1631. Versailles est situé dans cette région du Mantois où s’élevèrent cinquante ans plus tôt les petits châteaux issus des dessins de Du Cerceau. Il ne faut donc pas le considérer comme étant à l’origine du style mais bien comme l’ultime jalon d’une chaîne commencée au XVe siècle et dont les normes se fixèrent durant les années 1580. De nombreux châteaux suivront: Balleroy, œuvre de François Mansart en 1625-1626 où le schiste rouge local qui remplace la brique marque bien le choix esthétique de l’architecte. En Picardie s’élèveront Vauchelles-les-Domart, Wailly, Hénencourt, Frucourt, Ribeaucourt dans les années 1630-1640. En Normandie, ce sont le Grand Daubeuf en 1629, Beaumesnil en 1633-1640, Cany-Barville, Miromesnil... Vers 1638, c’est aussi la brique et la pierre que choisit Pierre Le Muet pour le château de Pont-en-Champagne.

À Vaux, le premier projet de Louis Le Vau, rejeté par Fouquet, était brique et pierre; le second, identique mais tout en pierre, détermina Louis XIV à agrandir Versailles. Le roi pourtant s’opposera à la destruction du château vieux, la petite demeure des champs de son père, lequel sera englobé dans l’enveloppe conçue par Le Vau. Ainsi s’opposent les façades brique et pierre côté cour et la longue façade au toit en terrasse, toute en pierre, côté jardin, comme si le roi avait eu le désir de rattacher son palais aux grandes entreprises royales des siècles précédents: au Blois de Louis XII, à Saint-Germain et à Fontainebleau construits à l’initiative de François Ier, à Charleval, aux réalisations d’Henri IV à Fontainebleau. Versailles est la dernière grande entreprise polychrome de l’architecture française, mais le style, dont le déclin s’était amorcé dès les années 1630 en Île-de-France, ne disparaît cependant pas totalement. Deux châteaux en particulier retiennent l’attention parce qu’ils sont l’œuvre de Jules Hardouin-Mansart. Il s’agit de Dampierre dans la vallée de Chevreuse et de Boufflers dans l’Oise. Le premier fut construit vers 1675 en moellon et brique; du second, il ne reste que les planches gravées ainsi que les dessins aquarellés du projet de 1695 qui révèlent des façades brique et pierre. À Fontainebleau, en 1737, les Gabriel père et fils reprendront le parti brique et pierre dans l’aile élevée sur l’emplacement de la galerie d’Ulysse, et Mathieu Le Carpentier prolongera tardivement la tradition: moellon et brique à Courteilles (Eure) en 1754, brique et pierre à la Ferté-Vidame (Eure-et-Loir) en 1764-1767 pour le marquis de Laborde.

Le goût pour l’harmonie rouge et blanche persista durant tout le XVIIIe siècle en Picardie. Et cette architecture qui n’aurait pu être que le simple prolongement d’un style devait témoigner d’une réelle originalité à Dompierre-sur-Authie, à Arry, mais plus encore à Long, à Brailly-Cornehotte et à la folie Bagatelle à Abbeville. Réduite à de simples panneaux entre les ouvertures, la brique se fait de plus en plus discrète pour céder la place à la pierre qui envahit les façades par de très beaux appareillages à refends, des sculptures, des colonnes et des pilastres. Rien mieux que ces demeures ne peut évoquer le XVIIIe siècle pour lequel la rigidité, la rigueur du XVIIe ont disparu au profit de la courbe et d’une grâce frivole magnifiées par la sculpture ornementale. À la folie Bagatelle (1753), ce ne sont que serviettes nouées de rubans, guirlandes de chêne, mufles de lions, draperies qui se détachent sur le fond de brique et évoquent la profession de drapier du propriétaire Van Robais.

De nombreux châteaux brique et pierre seront encore construits tout au long du XIXe siècle. Le château de Flixecourt dans la Somme fut construit de 1880 à 1886 par l’architecte Delfortie pour Jean-Baptiste Saint, le fondateur des usines de filature et de tissage du jute. Il est à l’image de son siècle: un château neuf certes, mais chargé d’histoire comme ses propriétaires l’ont voulu. Divers éléments y contribuent: la tour, vestige de la puissance seigneuriale, l’écu frappé de l’initiale dynastique, le choix du parti brique et pierre. Flixecourt, comme tant de châteaux brique et pierre construits au XIXe siècle, est le véritable résumé d’un style qui a marqué profondément pendant presque cinq siècles l’architecture française.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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